avril 10, 2020

L'école à la maison ?

L'école à la maison ?


Une démarche d'éducation populaire se propose de réfléchir à toutes les formes d'apprentissage, à l'intérieur comme à l'extérieur du système éducatif national : éducation des adultes, co-éducation adultes/enfants, méthodes collectives d'apprentissage, pédagogies émancipatrices, critiques, etc.

Aujourd'hui on propose de parler instruction en famille (parfois appelée à tort « l’école à la maison") avec Lucie. Rappelons qu'en France l'instruction est obligatoire, et non l'école. Alors nous sommes allés interroger Lucie pour faire un point sur son expérience. Pour cela on va lui poser les questions qui reviennent tout le temps quand on parle "école à la maison". Quitte à en faire des tonnes...

Coopérative Citoyenne : Salut Lucie, tu veux te représenter ?

Lucie : maman de trois enfants : Margot 11 ans 1/2, Bastien 10 ans et Tristan 7 ans 1/2, instruits en famille durant deux années (moyenne et grande section, ce1-ce2, cm1-cm2) pendant que je passais moi même un master à distance en sciences du langage, analyse des discours institutionnels, médiatiques et politiques.

CC : donc l'instruction en famille c'était aussi pour toi ?

Lucie : oui.

CC : pourquoi tu ne ne scolarises pas tes enfants (comme tout le monde) ?

C'est à la fois un choix de famille, un choix de vie, et un choix politique aussi. Reprendre notre liberté d'instruction c'est un choix possible dans notre pays.

CC : mais du coup t'as pas l'impression d'avoir imposé ça tes enfants ?

Lucie : C'est un choix qu'on a fait en famille. Au moment où je reprenais mes études, je leur ai proposé de faire ça ensemble. Ils ont adoré l'idée de pouvoir choisir leur méthode éducative, avec une durée donnée pour cette expérience (2 ans).

Made with Leica R7 (Year: 1994) and Leica Elmarit-R 2.8 / 90mm (Year: 1985). Analog scan via meinfilmlab.de: Fuji Frontier SP-3000. Film reel: Kodak Portra 800
Photo by Markus Spiske / Unsplash



CC : la question ne s'est pas posée de les inscrire dans une école alternative ?

Lucie : Les enfants ont été dans des écoles alternatives, vécu différentes pédagogies : Steiner, Montessori, école publique classique. Mais le choix de l'instruction en famille a été le vrai choix de la liberté éducative, de respecter le rythme de chacun, d'être décisionnaire de son temps d'apprentissage, de jardinage, de balade, de sommeil, de visites culturelles, de voyages.
Et surtout a permis à chacun des enfants de retrouver le plaisir d'apprendre ce qu'il a envie, quand il a envie, plaisir que l'on perd dans les écoles où l'on doit apprendre des sujets imposés à un moment imposé.

CC : A aucun moment ils t'ont demandé de retourner à l'école ?

Lucie : Au bout de deux ans, ils ont plutôt exprimé leur désir de ne plus aller à l'école pour pouvoir apprendre plus de choses dans le calme et n'ont jamais souhaité y retourner.

CC : cette période de deux ans est maintenant écoulée, du coup aujourd'hui ils sont de nouveaux scolarisés ? Cela leur a posé problème ?

Lucie : ils y sont retournés enrichis d'une expérience, conscients de savoir apprendre autrement. Mais ils y sont retournés aussi contents avec dans le coin de leur tête l'idée que si jamais il y avait un soucis, ils pourraient très bien faire autrement.

CC : Mais comment tu peux supporter d’être avec tes enfants toute la journée ?

C'est une des questions que l'on m'a le plus souvent posée... Je m'étais plutôt demandé si eux me supporteraient toute la journée. Et puis faut pas s'imaginer que j'étais l'enseignante qui leur a tout expliqué : quand ils ont voulu apprendre à coder par exemple, je suis allée chercher des potes ingénieurs pour qu'ils leur expliquent comment ça marche, et j'en ai profité pour me former aussi. J'ai fais la même chose quand il s'agissait de questions de biologie, je suis allée chercher une amie spécialiste, etc. Ça veut dire aussi qu'on est pas obligée d'être institutrice de métier pour pouvoir faire l'IEF (Instruction en famille).

Et puis quand on supprime le stress des horaires de l'école, des devoirs et de la fatigue infligée par des classes bruyantes et surchargées, tout devient plus simple. Nous prenons le temps d'être ensemble et le quotidien est harmonieux. Ils deviennent des partenaires avec lesquels on partage des envies, des savoirs... Et l'instruction en famille n'implique pas de rester ensemble toute la journée à la maison.

CC : concrètement, une journée d'instruction à la maison ça se passe comment ?

Lucie : dans mon cas, l’IEF étant potentiellement provisoire (le temps de mon Master), nous avons choisi de continuer un programme scolaire en maths et français. Mais cela peut se faire en fonction des intérêts de chacun des enfants (par exemple, apprendre à multiplier en comptant les pattes des insectes).
Le matin donc, on faisait un temps plus scolaire : maths, fran§çais, anglais. Adaptation en fonction de l'horaire de réveil de chacun, ce qui permet d'éviter un excès de fatigue, et les rend plus performants. Le reste de la journée, on décidait des activités en fonction des envies de chacun : des sorties (rando, musée), du jardin...

CC : Tu vas pas nous faire croire qu'il n'y a pas d'inconvénients !
Lucie :Le principal inconvénient reste les contraintes les de l'éducation nationale et de la mairie qui angoissent et créent la nécessité d'être productif. C'est souvent ce qui ressort dans les discussions avec les autres parents qui font l'IEF : devoir garder des traces de tout ce qu'on fait pour attester que l'instruction se passe bien lors de la visite annuelle de l'inspection. L'idée que ça soit contrôlé, un contrôle social, par les autres adultes et par l'institution, ça me rassure dans les cas où les enfants ne le vivraient pas bien ; en cela ce n'est pas très différent de l'école. Mais je préfère parler d'observation, plutôt que de contrôle ; une observation sans jugement du choix d'instruction.



CC : mais est-ce qu'une des fonctions premières de l'école c'est pas de socialiser les enfants ?
Celle là c'est la question numéro un ! Comment peut-on croire que c'est en regroupant des enfants du même âge avec un professeur dans une salle qu'ils vont se socialiser ?
A mon avis, ce n'est pas à l'école que l'on apprend la socialisation, mais dans la société. Avec l'IEF, on organise des sorties avec les autres familles, avec des enfants de tous les âges, on rencontre des adultes qui racontent leur métier aux enfants... Le temps dédié aux activités est plus grand : sport, musique, sorties, etc.
En général quand des personnes rencontrent mes enfants, après ils n'ont plus de doute sur leur socialisation !

CC : je confirme...

CC : bon dans ton cas ça va parce que ça n'a duré que deux ans, mais c'est pas vraiment réalisable sur tout le parcours scolaire, ne serait-ce parce qu'à un moment on arrive à la question du diplôme.

Lucie : tous les enfants qui vont à l'école n'ont pas forcément de diplôme, en tout cas pas toujours valorisé. Et pour celles et ceux que je connais qui ont continué l'IEF jusqu'au BAC, voire plus loin, ça s'est plutôt bien passé. Le fait d'être autonome par rapport à son apprentissage, c'est un énorme avantage, tout comme le fait de savoir identifier les matières que l'on aime.

CC : Tu as quand même été leur seule référence d’adulte, n'est-ce pas dommageable pour tes enfants ?

Lucie : Je suis de toute façon leur référence principale, mais je n'ai jamais été leur seule référence. Ils ont pris l'habitude d'aller chercher les réponses à leurs questions auprès des personnes les plus à même de leur répondre.

CC : aujourd'hui, l'IEF c'est une expérimentation, au sens où elle reste très marginale. Est-ce que d'après toi ça pourrait préfigurer une autre organisation de l'école publique (ou de l'instruction publique) ?

Lucie : reprendre les principes de l'IEF dans le cadre de la classe, avec 25 élèves, ça peut ressembler aux écoles alternatives (ex: Freinet), notamment dans la manière d'appréhender l'autonomie de l'enfant. D'un autre côté, demander à tous les adultes de faire l'IEF, ça va poser rapidement des des questions de société, notamment notre rapport au travail.

CC : bon, on t'as un peu embêtée avec des questions sur le « mode débat caca » : pour ou contre l'école publique ?", mais dans le fond ce qui nous intéresse vraiment c'est ce type d'expérience qui nous permet de voir qu'il existe plein d'autres espaces où se joue l'éducation des enfants et des adultes. Merci pour ça, et à bientôt.