mars 24, 2019

Quand la CoopCit anime la convention de la France Insoumise

Quand la CoopCit anime la convention de la France Insoumise

Début septembre 2018, la FI demandait à la Coopérative citoyenne (CoopCit) de lui faire une proposition de déroulé pour son événement national de fin d’année : la Convention de Bordeaux des 8 et 9 décembre.

Le « cahier des charges » était copieux : lancement de la campagne européenne, premiers échanges sur les élections municipales, travail interne sur la vie de la FI… Autant de problématiques au milieu desquelles venait s’inviter, mi-novembre, le mouvement social des Gilets Jaunes.

Le tout à traiter en 24 heures chrono, du samedi midi au dimanche midi. Avec environ 1 500 participant.e.s tirés au sort, réunis autour de petites tables dans une immense salle d’expo, avec une retransmission en direct de l’ensemble des travaux et même une participation à distance à intégrer pour des groupes d’action connectés en streaming… Autant dire une multiplication d’obstacles pour mettre en œuvre de l’éduc pop !

Nous avons pourtant décidé de relever le défi, habités par l’ambition de démontrer qu’un mouvement politique qui prône la Révolution citoyenne gagnera nécessairement à mettre en œuvre en son sein les principes et les méthodes de l’éducation populaire telle que nous la concevons.

La CoopCit a travaillé sur les méthodes d’animation au cours d’un week-end de Rencontres Mondiales en novembre, puis  constitué une équipe d’animation de six personnes pour l’événement.

Au final, une expérience très riche pour notre collectif de militant.e.s-chercheurs.se ; qui interroge néanmoins sur la possibilité même de faire vraiment de l’éduc-pop dans ce genre d’événement.

Les yeux plus gros que le ventre ?

Comme nous l’avons déjà dit, le défi était de taille : beaucoup de sujets à traiter, avec beaucoup de monde et en peu de temps.

D’abord le nombre. Lorsqu’on anime un groupe d’une trentaine ou une quarantaine de personnes, on est au même niveau (au sol), on n’a pas de micros, on voit les regards de chacun.e… Bref, la taille « humaine » du groupe rend l’animation conviviale, capable d’adaptation en direct, pour rassurer, reformuler une consigne quand on aperçoit une grimace, une moue dubitative. Lors de la Convention, nous étions deux animatrices/teurs sur une scène (avec dans l’oreillette des consignes en direct de la régie) face à 1 500 personnes réparties sur des petites tables dans une immense salle d’exposition. Dans ces conditions, impossible d’ajuster quoi que ce soit, de tenir compte de la réception de notre discours par les participant.e.s. C’est un peu « comprend tout seul et accepte tout de suite… ou tais-toi ! ». A plus forte raison bien sûr pour celles et ceux connectés en direct.

Ensuite, le temps. Les séquences que nous animions duraient d’une demi-heure à une heure et demie, mais à l’intérieur de chaque séquence le temps était minuté à la seconde près. Aucune possibilité de faire durer un temps qui fonctionne bien ou qui réclame plus que prévu sur le papier. A l’inverse, nous avons parfois été victimes d’autres retards qui nous ont obligés à écourter nos séquences. Par exemple, le brise-glace a duré deux fois moins longtemps que prévu ; il n’a donc pas atteint son objectif pour la Convention (permettre aux participant.e.s d’une même table de faire connaissance) et n’aura pas non plus convaincu de son utilité pour être reproduit dans d’autres occasions par les militant.e.s.

Enfin, le nombre de sujets à traiter en moins de dix heures. Comment faire vraiment travailler les participant.e.s sur chaque sujet (élections européennes, élections municipales, vie du mouvement FI, Gilets Jaunes) ? Comment choisir les angles à traiter, nécessairement restreints (les propositions politiques ou les stratégies d’alliances ou les méthodes de campagne…) ? Comment ne pas donner l’impression de ne faire que survoler chaque problématique ? Comment donner réellement du pouvoir aux participant.e.s sur les mises en œuvre à venir par la direction du mouvement ?

Mass méthodes

Même si la Convention était retransmise intégralement en direct et couverte par une véritable réalisation avec régie, il avait été convenu qu’elle ne devait pas se résumer à un « spectacle » et que les participant.e.s devaient être mis au travail pour faire avancer concrètement la réflexion sur les chantiers proposés. Problème : comment appliquer les outils que nous maîtrisions compte tenu des contraintes ? Il a fallu s’adapter.

De véritables débats mouvants semblaient impossibles. Mais nous voulions en garder l’idée. Nous avons donc fait fabriquer des plateaux de jeu (divisés en deux : un côté « plutôt d’accord », un autre « plutôt pas d’accord ») et des pions en bois. Au lieu de se déplacer, les participant.e.s déplaçaient leur pion. C’est moins sympa que de bouger vraiment, mais ça fonctionne. A plus forte raison quand on connaît déjà ce dispositif.

De même, pour éviter que chacun.e ne vive la Convention qu’avec ses voisin.e.s de table, nous avons organisé plusieurs temps de paroles boxées. Nous (les anim’) circulions dans la salle durant les débats en laissant traîner nos oreilles, puis nous faisions passer un micro. Quelques réflexions ont ainsi pu être partagées avec l’ensemble des participant.e.s. Le premier tour a été timide, les suivants ont eu beaucoup plus de succès. A tel point que, tout le monde n’ayant pas pu s’exprimer, il a pu y avoir quelques frustrations.

La technologie au secours de l’éduc-pop ?

Cette Convention n’était pas un Congrès : il n’était pas prévu que l’assemblée vote des décisions. Pour autant, il s’agissait de dégager de cette Convention des grandes tendances sur plusieurs questions. Sur les municipales par exemple, nous voulions faire travailler les participant.e.s sur une première proposition programmatique, afin de distinguer ce qui faisait consensus de ce qui nécessitait manifestement d’être précisé, voire abandonné. Nous avions donc besoin d’un outil qui mesure le plus rapidement possible le taux d’approbation d’une proposition. Une application a été développée : les participant.e.s renseignaient cette appli à plusieurs reprises ; apparaissait alors sur écran géant leur table avec une couleur correspondant à leur taux d’approbation collectif (vert si tout le monde était d’accord, rouge si personne, gris entre les deux).

L’intérêt de cet outil dans ce dispositif est multiple. D’abord, ne pas perdre de temps avec ce qui fait vraisemblablement consensus (que tout le monde soit pour ou contre). Ensuite, cerner ce qui fait débat, pour y consacrer l’essentiel du temps de discussion. Enfin, mesurer des évolutions entre le début et la fin du débat (il fallait alors en parallèle un travail qualitatif de recueil des arguments qui ont convaincu, ce que permettait aussi l’application). Par ailleurs, la visualisation de l’état d’approbation par table de toute la salle permettait à chacun.e d’avoir une vision plus juste de cet état global, tout en gardant le principe d’un débat à l’échelle d’une petite table, où la parole était beaucoup plus distribuée et les échanges plus vifs.

Reste que tout le monde n’est pas aussi à l’aise avec la manipulation d’une application numérique. Ainsi, certaines tables ont passé la plupart du temps à tenter de la remplir au lieu de débattre. Par ailleurs, beaucoup y ont vu une forme de votation au sens strict. Le statut de cet outil, comme l’objectif final de ce dispositif et de ce temps d’échange, doivent être mieux précisés.

On cause, et après ?

Cette ambiguïté a pu se retrouver à un autre moment de la Convention, lorsqu’il s’est agi de parler du mouvement des Gilets Jaunes qui avait commencé trois semaines auparavant. Pour animer ce temps, nous avions mêlé la méthode du « un doute / une certitude » avec trois pistes de réflexions : 1) Ce que j’ai déjà fait, vu ou en entendu dans ce mouvement ; 2) Ce que j’en espère ; 3) Ce que je compte y faire pour la suite.

La méthode du « doute et certitude » présente plusieurs avantages : elle est très simple à comprendre, elle fonctionne sur presque tous les sujets, elle permet assez « naturellement » une répartition équitable du temps de parole, elle est facile à réinvestir. Problème : certains participant.e.s y ont vu une sorte de « cause toujours ». Et pour cause, il s’agissait bien dans notre esprit d’un temps de pur échange, pour permettre aux militant.e.s de tous horizons et mélangés au hasard de partager leurs expériences (toutes fraîches) autour des Gilets Jaunes (nous savions que certains s’y étaient déjà jetés à fond quand d’autres rechignaient), d’en faire une première analyse et de se projeter collectivement dans la suite.

Enfantillages, management et poulailler libre

A l’inverse, on peut souvent se voir reprocher une animation trop cadrée, trop pleine de consignes et de rôles à jouer. Ca peut aussi bien venir de quelques participant.e.s (« ça va, on n’est pas des gamins » ou « on n’est pas dans une start-up ») que des organisateur-trice-s qui ont peur de ce genre de réactions, qui sont souvent très minoritaires mais aussi plus spectaculaires que celles qui consistent à jouer le jeu.

Ce dont ne se rendent pas compte ceux qui refusent toute méthode de discussion ou de travail collectif, c’est que vont nécessairement se reproduire les phénomènes de domination qui traversent la société. Car il ne suffit pas que six personnes autour d’une table se disent de gauche pour que s’annulent tout à coup les rapports hommes/femmes, sachants/non sachants, riches/pauvres, racisés/non racisés, expérimentés/nouveaux, etc.

Il y a eu lors de la Convention un moment très intéressant pour le vérifier, consacré à la vie de la FI, avec plusieurs propositions d’amélioration de l’organisation à discuter. On nous avait donné au départ une heure pour animer ce temps. Et puis il a été décidé au dernier moment de couper la poire en deux : 30 minutes de discussion cadrée autour de quatre propositions soumises par la direction (suite à une consultation en ligne), 30 minutes de discussion « libre » pour recueillir d’autres propositions de « la base ».

A vrai dire, beaucoup de participant.e.s ont été en effet heureux de pouvoir contribuer librement. Mais ils ont aussi apprécié d’expérimenter avant le dispositif que nous leur avions proposé pour fabriquer du consentement, à partir de la méthode des « 6 chapeaux », qui permet d’étudier une proposition en adoptant successivement et collectivement différents points de vue. L’idéal consisterait sans doute à mettre de la méthode dans un temps d’élaboration collective qui parte des propositions des partcipant.e.s, plutôt que de cloisonner ces deux démarches en deux temps bien trop courts.

Jouer le jeu

Une chose est sûre : l’éduc-pop ne fonctionne que si l’on accepte de sortir de nos postures héritées, des habitus et imaginaires forgés dans les cadres militants traditionnels et les médias. Bref, pour découvrir le potentiel de l’éduc-pop, il nous faut prendre le risque de « jouer le jeu ».

C’est ce que nous avons proposé aux participant.e.s pour travailler sur les argumentaires dans le cadre de la campagne européenne, à travers un véritable jeu de rôles. L’idée : à partir d’une carte tirée au sort, sur laquelle figurait un thème et cinq ou six mots-clés, chaque participant.e devait jouer deux rôles tour à tour, pour convaincre son auditoire. D’abord, comme s’il/elle était invité sur un plateau télé face à une brochette d’experts : il/elle devait alors replacer tous les mots-clés. Ensuite, comme s’il/elle était dans la rue face à des inconnus : il/elle devait alors tenter de convaincre en s’interdisant d’utiliser les mots-clés et devaient donc faire appel à d’autres ressources, comme le vécu.

L’expérience fut très concluante, puisque les participant.e.s ont continué ensuite en fabriquant leurs propres cartes, partant des réflexions qui leur étaient le plus souvent faites et face auxquelles ils butaient en général. Belle réussite pour un dimanche matin et une animation qui aurait pu être considérée comme une façon d’amuser la galerie.

Il faut dire que pour aider les participant.e.s à jouer le jeu, nous avions insisté pour que quelques candidat.e.s aux européennes montrent l’exemple depuis la scène, testant les deux rôles. La bonne surprise de ce moment aura été un argumentaire développé « en mode Tabou » : en s’interdisant tous les mots-clés, le candidat-e sur scène a dû faire appel à des exemples très concrets de bouleversements économiques dans son bassin de vie, produisant un discours beaucoup plus convaincant que ceux singeant ceux des experts-de-plateaux.

Pépites et râteaux

Cette analyse des différents types de discours et de leurs effets faisait d’ailleurs partie intégrante du dispositif de jeu de rôles proposé. Après que chaque participant.e ait joué ses deux rôles, la table avait 3 minutes pour dire ce qui avait été ressenti en termes de posture et d’efficacité. On en profitait alors pour ramasser les pépites argumentaires, remontées là aussi grâce à une application spécialement développée.

Ce temps de pépites a vraisemblablement participé de la réussite du jeu. Dans l’idéal, il aurait fallu pouvoir en organiser de manière systématique après chaque animation. D’autant qu’une de nos grandes ambitions dans cette Convention était de faire vivre plusieurs méthodes d’animation pour : être efficace dans le temps de la Convention, que les militant.e.s politiques éprouvent des postures différentes de celles habituellement vécues dans les débats et s’approprient ces méthodes autant que possible.

Il nous faut ici sortir le râteau : courir autant de lièvres à la fois était certes louable mais sans doute trop ambitieux dans un cadre aussi contraint.

Enjeux et consignes

On sait que les méthodes de minutage des temps de parole, pour égalitaires qu’elles soient, peuvent apparaître comme très brutales. Or, ce qui est acceptable dans un cadre restreint et convivial (parce qu’on peut le dire avec le sourire en regardant chaque personne dans les yeux) le devient beaucoup moins lorsque ça semble tomber d’en-haut (la scène) et alors qu’on vient déjà de passer 5 minutes à chaque table pour se mettre d’accord sur la compréhension de la consigne.

Plus important encore que le passage de consigne, on se demande en tant qu’animateur-ice s’il faut donner tous les enjeux de l’atelier au début. Faut-il expliquer pourquoi on fait cela et pourquoi on fait comme cela, ou faut-il laisser vivre l’animation ? Sur ce point nous continuons d’en discuter entre nous !

Mais là encore, la question reste de savoir ce qui est atteignable dans un cadre aussi contraignant (nombre/espace/temps).

Animateur ou présentatrice ?

Ces questions de consignes et d’enjeux rejoignent aussi la question du statut qui était le nôtre sur la scène. Nous nous voyions comme des animatrices/teurs éduc-pop de certains temps de la Convention. Les organisateur-trice-s nous voyaient plutôt comme des présentatrices/teurs (nous avons d’ailleurs dû « animer » un temps que nous n’avions pas proposé, avec les difficultés que cela suppose). Les participant.e.s nous voyaient comme… les organisateur-trice-s de la Convention.

A vrai dire, nous aurions bien aimé être encore plus dans l’organisation pour avoir une vue globale de tous les secteurs qui ont participé de fait à l’événement (équipe en salle, régie, matériel, accueil, numérique…) pour ne pas découvrir certaines choses au dernier moment. A l’inverse, nous ne souhaitions pas avoir à présenter des temps qui ne relevaient pas, à notre sens, de l’éduc pop (ou qui n’avaient pas été pensés dans ce sens-là).

Si c’était à refaire

Un des aspects sur lesquels nous voulons avoir la main, c’est la maîtrise de déroulé de chaque séquence. Qu’on nous donne une heure (au moins !) pour faire travailler les participant.e.s sur un sujet, avec une méthode, et qu’on nous laisse juger des moments où il faut raccourcir ou allonger, prendre le temps de reformuler, etc. Bref, qu’on nous laisse animer.

Si la jauge doit rester comparable, il nous faudrait recruter et former en amont une grosse équipe d’animatrices/teurs. Ici nous étions deux sur scène et quatre en salle. Dans l’idéal il faudrait un.e anim’ pour 50 partcipant.e.s, soit une équipe de 30. Cela permettrait non seulement d’être beaucoup plus proche de chacun.e pour rassurer ou reformuler. Cela permettrait surtout de pouvoir travailler autrement qu’avec la seule alternance entre table de six et parole boxée à 1 500. On pourrait alors imaginer de faire de vrais débats mouvants, des débats en pétales, etc.

Enfin et surtout, il s’agit d’être parfaitement au clair sur les intentions de ce genre d’événement (et de chacune de ses séquences). C’est quoi une Convention de la FI : pour homogénéiser les discours des militant.e.s ? pour les faire travailler sur des textes ? pour prendre des décisions stratégiques ? pour se former sur les plans théorique et pratique ? pour la joie de se retrouver et de créer de l’émulation pour l’action ?

C’est en répondant (le plus tôt possible) à ces questions qu’on peut espérer organiser une Convention réussie. Avec une participation de la CoopCit aussi enthousiaste qu’elle le fût sur cette édition.